LES BOUBOYS : Contraction de « boubou » et de « b-boys », cette première série s’intéresse à la culture hip hop noire américaine des pères fondateurs (Afrika Bambaataa et sa Zulu Nation) en écho à une culture populaire africaine. Des personnages, aux attitudes démonstratives et aux poses jouées, portent des vêtements aux motifs empruntés des tissus africains type wax, bazin ou fancy, habituellement imprimés sur les boubous ou les pagnes. Cette réécriture s’exprime en parallèle d’une communauté qui s’est elle-même réinventée son identité noire, en développant une culture américaine originale consciente de ses racines africaines. La Zulu Nation est une organisation originaire du Bronx (le terme ‘zoulou’ désigne une tribu sud-africaine) qui, par ce terme, a fondé un territoire sans existence géographique, en bref une nation d’idées. Cette volonté de se recréer une histoire est tangible dans le besoin quasi systématique de ses membres de se renommer, en effaçant son nom civil. De notre côté, nous réinventons des personnages avec des origines africaines qui ne sont plus unanimement revendiquées mais toujours sous-jacentes. L’utilisation de parures, de bijoux outranciers et le souci de l’apparence propre au mouvement hip hop n’est pas étranger à la question du corps en Afrique, où le sculpter à la façon de l’argile, le parer ou encore le glorifier, est primordial. L’utilisation de textiles africains est fondamental car ils témoignent autant de transversalités culturelles que de capacités de réappropriation, créant un effet de miroir avec le hip hop dont il est ici question. Si ses tissus et ses motifs sont devenus des éléments essentiels du paysage africain, ils racontent la rencontre entre l’Afrique et l’Europe, entre les artisans et les industriels du wax, notamment, ce fameux tissu africain made in... Europe ! Ces tissus sont les témoins de notre histoire à tous, africains et européens. Ils sont un véritable message multiculturel : de leur conception à leur réception par le public ces tissus démontrent la capacité étonnante d’absorber et de reformuler techniques et méthodes venues de l’étranger, d’inventer continuellement une esthétique et une culture collective. Divers noms sont donnés aux modèles « Tu sors, je sors », « Feuilles de piment », « Mon mari est capable », « Ton pied mon pied », « Fleur d’hibiscus », « Quand femme passe les hommes trépassent », « L’œil de ma rivale », « Z’yeux voient, bouche parle pas »... Les femmes élégantes du Togo, du Bénin, d’Abidjan... rivalisent d’imagination pour baptiser le dernier modèle qu’elles convoitent, L‘adaptation et la réinvention des motifs et des modes provenant d’ailleurs sont la preuve de l’ingéniosité et de la vitalité qui caractérisent la pratique du pagne.

LOS CORAZONEGROS : cette deuxième série s’inscrit dans une transversalité autour de populations descendantes d’Afrique vivant au Pérou. Comme pour la première, nous sommes face à une situation de « diaspora africaine » sur le continent américain, mais cette fois beaucoup plus spécifique. Si le hip hop est un mouvement culturel et artistique qui a su traverser les frontières, la communauté afro-péruvienne présente des caractéristiques identitaires uniques et peu connues. Il s’agit de faire suite aux Bouboys et d’envisager une lecture ouverte des différents épisodes. Si les portraits des Bouboys ont été réalisés à partir de nos photographies personnelles et de nos recherches documentaires, ceux de Los corazonegros sont pensés au contact direct de la population et à l‘écoute des témoignages que nous avons recueillis, faisant de nos images un espace de discussion et d’échange.

Six semaines à Lima, entre participations aux activités des institutions et structures afro-péruviennes, préparation d’ateliers artistiques, différentes rencontres et le quotidien qui nous a plongées d’une toute autre manière dans notre terrain. Les premières impressions sont fortes. Dans cette cité en perpétuel mouvement, la visibilité « afro » est quasi absente. Pousser des portes, aller à des évènements spécifiques, c’est seulement alors que l’on se rend compte que la population péruvienne est aussi parcourue d’afro-descendance. Cela nous questionne en premier lieu sur la visibilité des origines : la problématique d’ascendances ethniques et culturelles des individus est une donnée constante, dans la mesure où c’est le phénotype qui permet en partie d’identifier l’appartenance d’un individu à un groupe. Cette perception caractérise l’individu selon les stéréotypes, les préjugés et les attentes normatives définies par la société. Ces attributions identitaires appartiennent au monde de la représentation sociale. Elles sont bien souvent en décalage avec l’identité culturelle des individus.

ZISTWAR DE FRANCE : troisième volet des Papiers ordinaires, cette série interroge l’identité nationale contemporaine. Cette problématique souvent exprimée au singulier, incline un aspect uniforme à être français, comme s’il n’y avait qu’une seule et bonne réponse, fermant ainsi tout débat à la pluralité identitaire. C’est donc dans sa diversité que nous envisageons cette question. Le terrain de réflexion de cette troisième série appréhende les symboles culturels français en réinvestissant le patrimoine artistique du XIXème siècle et en en proposant une relecture. Cet ensemble de peintures que nous avons sélectionné, est constitué de tableaux officiels, de commandes d’État ou de scènes de genre et incarne autant un imaginaire collectif que des valeurs communes. Nous les avons transposées à la manière d’un miroir, regardant ailleurs, reflet d’un art, s’il est contemporain, qui doit être ancré dans une société et ses mutations, pour laquelle il est nécessaire et urgent d’en repenser ses représentations. Qu’incarnent ces «images» qui (nous) représentent ? Ne sont-elles pas les avatars d’une histoire partielle, d’une histoire enseignée et seulement métropolitaine ?

La période historique en question, qui correspond à celle de la sélection du corpus d’oeuvres, est celle de la naissance de la République française avec l’établissement de l’ensemble des valeurs et des symboles qui sont encore les nôtres. En 1789, la France se révolte contre l’Ancien Régime et lègue la Déclaration des Droits de l’Homme et des Citoyens, proclamant l’égalité des citoyens devant la loi, les libertés fondamentales et la souveraineté de la nation.
Quelques décennies plus tard, la France se rêve outre-mer, se constituant un territoire géographique gigantesque par la colonisation de l’Afrique Équatoriale, du Maghreb et de certains territoires de l’Asie du sud-est. C’est une France face à ses propres contradictions, proclamant l’égalité des peuples mais qui prône la supériorité des races et le devoir d’instruire des « peuples-enfants (1) ». C’est donc autant l’histoire et l’art qui sont ici en problématique. Cette troisième série se veut l’archéologie d’un passé en reconnaissance. Invitation renouvelée à ouvrir et à décloisonner les champs de notre création artistique.

 

(1) Discours de Jules Ferry prononcé à la Chambre des Députés le 28 juillet 1885 intitulé "les fondements de la politique coloniale"